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Effondrement du Rana Plaza : « Pour eux, nous ne sommes que des machines »




Mardi 23 Avril 2019


24 avril 2013 : retour sur le tragique effondrement du Rana Plaza au Bangladesh qui a provoqué la mort de 1138 ouvrières du textile.



En mars 2013, Zara, ambassadeur et leader de la « fast fashion » faisait pâlir ses concurrents et ses camarades de la Bourse espagnole. Fière de ses résultats et à la conquête de toujours plus de marchés, Zara continuait d’ouvrir de nouveaux magasins dans toute l’Europe, tout comme d’autres grands groupes de l’habillement tel que H&M. Mais voilà, à peine un mois après, c’est le drame.
 
Une usine textile du Bangladesh qui produisait et conditionnait des produits pour Zara, H&M, Auchan, Gap ou encore Walmart, s’effondre en pleine journée. Le bâtiment du Rana Plaza de 9 étages, conçu pour n’en posséder que 5, avait montré des signes de détérioration alarmants comme des grandes fissures et des bruits de craquement. Mais les impératifs de production sont venus étouffer les inquiétudes des employés qui n’avaient d’autre choix que de venir travailler quand même, sous peine de ne pas recevoir leur salaire du mois. Au moins 1138 vies enlevées et autant de familles brisées. Les images sont chaotiques et les témoignages glaçants. Au milieu des décombres, des cadavres et de l’horreur, les grandes marques s’inquiètent. Ce sont leurs habits qui étaient en train d’être fabriqués en grande quantité et le plus rapidement possible pour répondre à la demande des consommateurs impatients et exigeants. Une étiquette retrouvée au nom d’H&M, puis deux au nom de Primark : assez pour engager la responsabilité de plusieurs groupes. Une supply chain efficace et rapide, mais à quel prix ? Selon une employée rescapée, dans ce type d’usine, ils ne sont plus considérés comme des humains : « pour eux, nous ne sommes que des machines. ».

Que s’est-il alors passé ? Comment les grands groupes de l’habillement ont-ils tenté de résoudre cette crise qui ne ressemblait à aucun autre tourment économique ou financier qu’ils avaient pu avoir à gérer auparavant ? Cette fois-ci, il y avait du sang sur leurs étiquettes et l’hémorragie devait être stoppée.

Après l’effroi et les larmes, les décisions de sortie de crise doivent être prises rapidement sans faire d’erreurs qui pourraient mettre encore plus en danger la réputation des marques. Les entreprises ont eu des réponses différentes les unes des autres. La mesure phare qui a été prise en réponse à cet évènement a été mise en place le 15 mai 2013, seulement quelques semaines après le drame par 191 entreprises. Il s’agit de l’  “Accord on fire and building safety in Bangladesh”  qui affirme qu’aucun ouvrier ne doit craindre un incendie, un effondrement ou n’importe quel autre accident qui peut être évité simplement avec le respect de normes d’hygiène et de sécurité. Cet accord signé par une trentaine de marques occidentales telles que Carrefour, H&M et Zara répond à l’urgence d’action en matière de sécurité. Il est assorti d’obligations juridiques et engage la responsabilité des entreprises pour l’amélioration des conditions de sécurité et, plus important, le renforcement des syndicats. Pour aller plus loin, certains groupes se sont mis d’accord pour créer un fonds d’indemnisation piloté par l’Organisation internationale du Travail (OIT) pour les victimes. La question de ce fond est plus épineuse. En effet, alors que des groupes comme Inditex non impliqués directement dans le drame du Rana Plaza, mais s’approvisionnant tout de même au Bangladesh ont accepté de participer à hauteur de quelques millions, d’autres comme Carrefour, dont des étiquettes retrouvées prouvent leur implication, ont refusé de participer.

Ainsi, la position adoptée par la majorité des entreprises du textile a été de faire passer un message de coalition en faveur de la sécurité des ouvriers. Elles ont cherché à assumer leur responsabilité en montrant les actions qu’elles prenaient tout en rappelant souvent tout de même que les principaux responsables étaient les propriétaires des usines qui leur affirmaient que les normes étaient respectées. Certaines d’entre elles ont compris la nécessité d’empathie à mettre en avant dans leurs actes puisque les victimes étaient nombreuses, les rancœurs, les colères et les chagrins aussi. Il fallait trouver un moyen de soutenir les victimes et leurs familles. C’est en participant au fonds d’indemnisation de façon généreuse (7millions pour Primark) ou par des initiatives individuelles en interne que certaines ont tiré leur épingle du jeu et se sont montrées touchées, compréhensives et impliquées aux yeux du public de consommateurs. Auchan a par exemple initié un plan d’action contre la sous-traitance non déclarée avec la création d’un code éthique et de contrôles inopinés chez des sous-traitants à travers le monde.

Était-ce suffisant pour se sortir de cette crise ? Y avait-il mieux à faire ?

On aurait pu penser à une réponse brutale : quitter le Bangladesh, ne plus sous-traiter dans ce pays pour être certain de ne plus engager sa responsabilité dans un pays où les normes sont oubliées. Mais cela signifiait abandonner les victimes et leurs familles et abandonner les ouvriers rescapés ou ceux d’autres usines où les conditions sont similaires, mais aussi priver d’un emploi des milliers de personnes. L’option choisie de rester dans le pays est donc la plus raisonnable pour défendre les intérêts des ouvriers. En revanche, des limites auraient pu être fixées, si les réglementations imposées par le gouvernement n’évoluent pas et que les entreprises du textile ne sont pas convaincues de pouvoir continuer à travailler avec le pays sans mettre en danger les ouvriers, il serait préférable de cesser son activité dans la région.

Une réponse intéressante à cette crise en restant dans le pays serait de participer à l’amélioration des conditions de travail des employés dans un pays où la corruption est endémique et où les constructions se font le plus souvent sans permis. La supply chain doit être analysée et contrôlée pour ne sélectionner que les usines qui répondent à des normes suffisantes de sécurité et l’option de mettre une pression sur les autorités locales pour des augmentations de salaire comme le fait H&M aurait pu être envisagé par d’autres entreprises. Mettre en avant ce type d’effort aurait constitué un élément de langage pertinent et convaincant dans la communication sur l’évènement. 

La montée en gamme de la RSE des industries de la fast fashion est un élément crucial pour leur image et leur communication, elles doivent améliorer la traçabilité des produits fabriqués et pouvoir justifier des garanties nécessaires mises en place dans leurs usines. L’aspect tragique de cet évènement doit aussi alerter sur les pratiques de la fast-fashion et sur l’importance des enjeux de sécurité dans la quête du profit et de la main-d’œuvre bon marché. Les initiatives et les actions doivent être réelles et ne doivent pas se contenter du minimum, car les consommateurs sont de plus en plus sensibles à l’image des marques qu’ils portent. Presque 6 ans après, les efforts ne sont pas considérés comme suffisants, les ONG continuent d’accuser ces marques de n’être éthiques que sur l’étiquette. La crise de 2013 a nécessité des décisions d’urgence qui ont été prises pour la plupart des entreprises concernées. Cependant, des prises de décisions sont nécessaires également sur le long terme. Si des leçons supplémentaires ne sont pas tirées, leurs étiquettes pourraient malheureusement, à nouveau être tachées de sang.
 
 
 
 
 
 
 

 

Isadora Evrard



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